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Souvenirs d’une rentrée des classes en Ossétie du Nord

J'ai inventé un jeu : le Beslan. Il s'agira de rester trois jours et deux nuits sans boire, sans manger et sans bouger. Donc sans aller aux cabinets. Ni se laver. Et encore moins se changer. Le Beslan se déroulera par grande chaleur, comme la prise d'otages en 2004 en Ossétie du Nord. Il sera important de trouver, pour respecter les règles du Beslan, une trentaine d'individus armés et tirant à l'occasion sur un des joueurs, avant de jeter son cadavre par une fenêtre. Les joueurs seront plus de 1000 et on les parquera dans une salle étroite où ils seront agglutinés les uns sur les autres. Parmi eux, une majorité d'enfants. Le deuxième nom de ce jeu, c'est le martyr. Un martyr collectif vécu par les habitants de Beslan les 1er, 2 et 3 septembre 2004. Les victimes sont allées directement au paradis, les enfants ouvrant la marche dans leurs jolis uniformes d'écoliers lavés et repassés par la mort bienveillante. Les survivants sont sourds et désespérés. Beaucoup ont perdu la raison. Ils passent leurs journées au cimetière, attendant que leur fils, leur fille, leur sœur ou leur frère les invitent à les rejoindre.

On a beaucoup insisté, à l'Ouest, sur l'abominable épilogue de la prise d'otages de Beslan, qui a fait plusieurs centaines de morts. L'assaut donné contre l'école n°1 a en quelque sorte fait oublier l'horreur de ce qui l'a précédé. Il faut rappeler que sans la prise d'otages cette attaque n'aurait pas eu lieu. Le sentiment antirusse est si ancré en Europe que Vladimir Poutine et ses soldats sont devenus pour nous les véritables responsables de la tragédie de Beslan. Les soixante heures passées en enfer par les otages sont oubliées, effacées. Les journalistes et les intellectuels occidentaux jettent sur elles un regard distant, incrédule, interloqué.

Ces hommes, ces femmes et ces enfants battus, humiliés, insultés et torturés par un commando tchétchène gênent leur pensée, troublent leur raisonnement, gâchent leur indignation. Ils sont de trop dans le décorum de leur excitation médiatique. Leur version des faits - l'armée russe, passant dans la région avant de se rendre à Grozny et en profitant pour attaquer sans raison une inoffensive école ossète, histoire de se dégourdir les jambes et d'essayer de nouvelles armes automatiques avant de les utiliser contre les civils tchétchènes - serait plus satisfaisante pour eux s'il n'y avait pas ces trois jours et ces deux nuits au cours desquels un commando tchétchène de 31 personnes a usé d'une sauvagerie atroce à l'encontre de gens sans défense.

le point.jpgCette chronique est évidemment dédiée aux plus jeunes victimes du drame de Beslan : Georgil Vladimirovitch Daurov et Aspar Arturovitch Dzampaev (2 ans) ; Albert Karbekovitch Adhyrkaev, Amirkhan Avazovitch Bakhromov et Vaderiya Olegovna Budaeva (3 ans) ; Amirkhan Normatov Bakhromov, Ani Arutyunovna Rusova et Rada Valerevna Salkazanova (4 ans) ; Dzerassa Kazbekovna Basaeva (5 ans).

Patrick BESSON

LE POINT n°1929

du 3 sept. 2009

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