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Le chagrin des mères de Beslan

Pour Zalina Khuznieva, la photo de ses deux enfants posée sur l’étagère de sa chambre est comme une icône. Seul point de repère d’une vie qui a perdu tout sens. Dans le cadre en bois, Stela, 7 ans, et Georgii, 8 ans, sourient. Comme tous les gamins de Russie, en ce premier jour d’école, le 1er septembre 2004, ils portaient leur plus bel uniforme. Nœud blanc dans les cheveux de la fille. Cravate au cou du garçon.


Mère de Beslan 3.jpgUne photo prise quelques minutes avant l’horreur : les cris des terroristes, les pleurs des enfants, trois jours d’une interminable prise d’otages, l’explosion, l’assaut, le chaos. Puis Zalina a ouvert les yeux : assis à côté d’elle, Stela et Georgii étaient morts, calcinés. Elle a entendu un terroriste lui crier que les enfants avaient rejoint Allah. Touchée à la tête, elle a vite perdu connaissance. Au bout de deux mois dans le coma, Zalina a repris vie. Mais, depuis, ce n’est qu’une longue et pénible survie. Huit ans après la prise d’otages de l’école nº1 de Beslan, petite ville du Caucase russe, cette femme de 45 ans est brisée. Sourde à 95%, elle a perdu un œil et parle difficilement. Le fragment d’acier qui a transpercé son crâne lui cause de permanents maux de tête, apaisés par l’absorption nuit et jour de pilules. Régulièrement saisie par des crises d’hystérie, elle a peur d’une nouvelle attaque terroriste. Vivant chez sa mère, elle se déplace du fauteuil à la porte. Mais elle ne sort presque plus.

 

« Je supporterais tout ça s’ils étaient encore vivants », confie Zalina, en se tournant vers les photos de son fils et de sa fille mais aussi de sa sœur et de son bébé, venus assister à la fête d’école, pareillement emportés par le drame. Ces clichés sont de rares souvenirs de sa vie passée. Son mari, devenu alcoolique à force de dépression, l’a quittée et a fondé une autre famille. Ils ne se croisent plus, même pas pour les anniversaires des enfants célébrés au cimetière où, reproduits en noir et blanc sur des plaques de marbre, sont figés à jamais les sourires de Stela et Georgii.

 

A Beslan, la vie a pourtant bel et bien repris. Un prêtre orthodoxe est récemment venu bénir les fondations de l’église en cours de construction à côté de l’école. Dans la maison de la culture voisine, où les familles se regroupaient pendant la prise d’otages, des enfants crient leur joie et leur surprise en regardant serpents, tortues et crapauds géants dans le mini-zoo installé pendant l’été. Le long des trottoirs, des femmes se promènent avec des poussettes. D’autres, sous le chaud soleil, marchent lentement, le ventre lourd d’une naissance imminente. Entre danses folkloriques et concerts d’accordéon, la région fête le retour de ses héros, médaillés d’or à Londres dans les épreuves de lutte. Les banderoles colorées célèbrent le sport et… « les enfants, ces fleurs de la vie ». « Il faut continuer ! », insiste Marina Pak, petit bout de femme qui, pleine d’énergie et de caractère, essaie de se construire un nouvel avenir. Dans l’école, cette mère célibataire a perdu sa fille unique, Svetlana, 13 ans, elle aussi réduite à n’être plus qu’une photo, une robe immobile bien rangée et une tombe au milieu d’un cimetière immense. « Je m’entoure d’enfants », raconte Marina dans sa cuisine alors que ses deux nièces s’activent à préparer le dîner. Deux ans après le drame, elle s’est remariée. Avec un père que la prise d’otages avait laissé veuf. Elle s’est occupée de ses deux filles comme une seconde mère. Mais le couple n’a pas résisté à l’apathie et à la tristesse du père qui, pour ne pas plonger, puisait son énergie dans celle de sa nouvelle compagne. Depuis, Marina, 47 ans, poursuit son bout de chemin. En bonne santé malgré de soudains coups de fatigue, d’humeur optimiste malgré des bouffées de dépression, elle a repris son emploi de prof. Elle enseigne les arts appliqués dans la nouvelle école construite pour remplacer l’établissement réduit en ruine. Couturière, Marina fabriquait des robes pour sa fille et, avec fierté, montre les photos des défilés de mode qu’elle organisait.

 

Aujourd’hui, à l’école comme dans les colonies de vacances, elle fait profiter les enfants de ses talents. « Je n’aime pas me plaindre. Le temps passe. Il faut en faire quelque chose. Je préfère m’occuper ! », répète Marina, resplendissante dans ses vêtements colorés. Au sein du comité des mères de Beslan, elle est pareillement active et, au Japon comme en Espagne, elle a participé à des forums de victimes d’actes terroristes. « Toutes ces activités, pour les enfants comme pour nous, nous aident à redevenir comme les autres », confie-t- elle. Une seconde vie encore très fragile.

 

Benjamin QUENELLE

Source du texte : LE SOIR.BE

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