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Colloque sur le Caucase : Intervention de M. Patrick Brunot

Patrick Brunot.jpgMonsieur le Maire,

 

Les amis de la Russie sont très nombreux en France et vous le savez bien puisque vous en avez déjà rencontrés beaucoup à la suite de la tragédie que des citoyens de votre ville, dont les plus précieux, c’est-à-dire les 186 enfants ont subi.

Sans doute avez-vous reçu de nombreux  gestes de sympathie après cette catastrophe humaine mais parmi ceux-ci, les manifestations des français et particulièrement de l’association « Solidarité Enfants de Beslan » vous ont touchées.

Pour ma part, je souhaiterais évoquer devant vous en quelques mots, cette grande région du Nord-Caucase  afin que vous reveniez chez vous, à Beslan, avec des raisons multiples d’espérer un avenir meilleur consécutif notamment au développement des relations entre l’Europe et le Nord-Caucase.

Cette région du sud de la Russie ne m’est pas étrangère puisque non seulement, je m’y suis rendu une douzaine de fois notamment pour y suivre des cures thermales près de Mineralnye Vodi, mais encore parce que j’y ai découvert des personnalités très attachantes dont j’ai eu le privilège de gagner l’amitié, notamment en Ossétie.

J’ai rencontré à Vladikavkaz le professeur Vladimir Koutznesov ainsi que le responsable de l’Institut d’Etudes Humanitaires qui m’ont fait découvrir les vestiges de nos ancêtres les Alains. C’est ainsi que je suis devenu le co-auteur avec Vladimir Koutznesov et Iaroslav Lebedynsky de l’unique ouvrage en langue française consacré aux : « Alains, cavaliers des Steppes, seigneurs du Caucase  du Ier au XVème siècle ».

Par la suite, j’ai co-signé avec votre compatriote Viatcheslav Avioutskii un petit livre consacré à la Tchétchénie mais, ce n’est pas de ces sujets dont je souhaiterais vous parler aujourd’hui parce que d’une part, ils concernent le passé, d’autre part, vous les connaissez bien mieux que nous.

Puisque vous avez fait l’effort de venir jusqu’à nous à Paris, vous êtes en droit d’attendre que nous vous disions comment nous imaginons l’avenir du Nord-Caucase ainsi que les perspectives de ses relations avec l’Europe.

Votre région reste méconnue des Européens qui assimilent volontiers les 5 Républiques autonomes caucasiennes russes aux 3 Républiques indépendantes du Sud-Caucase alors qu’il convient de bien distinguer pour des raisons historiques et politiques la Circaucasie et la Transcaucasie. Certes, la Russie continue à considérer ces 3 Etats (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie) comme relevant de sa sphère d’influence naturelle en parlant de « l‘étranger proche » bien qu’ils fassent partie du programme de l’OTAN  « partenariat pour la paix » et qu’ils entretiennent des relations privilégiées non seulement avec les Etats-Unis et l’Europe mais également avec la Turquie et l’Iran.

C’est une évidence que d’affirmer que le Caucase est devenu après la fin de l’URSS un enjeu politique important car les richesses naturelles de cette zone sont exceptionnelles. Les historiens nous disent que le paradis terrestre se situerait sur le territoire de l’actuelle Abkhazie, que l’Arche de Noé a échoué en Arménie…  De nos jours, les géographes nous expliquent que le sous-sol est le plus riche du monde par la variété des ses minéraux rares (citons les mines de plomb d’Ossétie).

Je me souviens de la stupéfaction de physiciens japonais dans la région de Piatigorsk constatant que leurs compteurs Geiger battaient des records d’intensité pour les relevés de radon .

Sans richesses naturelles, le Nord-Caucase demeurerait sans histoire ni problème car les convoitises occidentales sont nombreuses et la Chine n’est pas loin !

L’un des fondateurs de la CIA (1) n’hésitait pas à expliquer qu’il avait créé une ONG (2) destinée à déstabiliser les régimes du Caucase susceptibles de servir les intérêts de Moscou .

Il faut être totalement ignorant des réalités quotidiennes du Caucase pour soutenir l’idée, comme le font abusivement certains, que le maintien des tensions dans la région est destiné à assurer la domination russe.

Il est évident que les divisions des décideurs y sont trop nombreuses : militaires contre civils ; FSB contre militaires, hommes de Poutine contre hommes de Medvedev, certains hommes d’affaires contre d’autres hommes d’affaires  sans parler des multiples rivalités ethniques.

Les européens sont bien conscients de la gravité des violences terroristes qu’une telle situation entraîne : rien qu’en Kabardino-Balkarie (3), 160 policiers ont été assassinés depuis 2005. Le Daghestan (4) a déploré plus de 60 morts durant le seul mois d’avril 2010. Entre 2006 et 2009, on a recensé 1393 cas de disparition d’opposants ou de rebelles . Je ne reviendrai pas sur le drame unique que votre ville a connu qui se caractérise par une cruauté exceptionnelle au cœur de cette république autonome qui compte une majorité chrétienne alors que les autres républiques autonomes sont à majorité musulmane, à l’exception de la république autonome des Adygues.

Nous sommes bien sûr dans la région la plus conflictuelle de la Fédération de Russie malgré tous les efforts de Moscou pour assurer la sûreté de ses ressortissants . Mais comment assurer la coexistence entre des habitants qui ne sont pas majoritairement russe d’un point de vue ethnique ?

Comment intégrer un territoire multiconfessionnel dans lequel l’Islam joue un rôle particulier ?

Si la situation actuelle reste très préoccupante, il n’en demeure pas moins que la nouvelle stratégie du Kremlin à l’égard du Nord-Caucase nous donne de sérieuses raisons d’espérer. Il est communément admis que le Caucase dépend économiquement de Moscou et que Moscou dépend politiquement du Caucase.

Ce n’est pas sans mal que la Russie s’efforce de maintenir l’Etat de droit dans la zone : la Cour Européenne des Droits de l’Homme nous rappelle qu’elle a prononcé à ce jour 150 arrêts à l’encontre de la Russie liés au Caucase .

Les difficultés de fond seraient donc davantage politiques qu’économiques dès lors, tous les moyens apparaissent bons pour stabiliser la région.

Le projet « Mir Kovkaza » d’octobre 2009 mis en place par le journaliste Maxim Chevtchenko, en collaboration avec le Centre de Recherches Stratégiques sur la Religion et la Politique dans le Monde Contemporain pour le compte de la Chambre Civique de la Fédération de Russie dont le but est de provoquer le dialogue entre les républiques du Caucase avec pour premières démarches le recensement des problèmes qui empêchent la réalisation de l’avenir souhaité pour le  Caucase.

Par ailleurs, la création en Janvier 2010, du district fédéral du Nord-Caucase et la nomination à sa tête d’Alexandre Khloponine, homme d’affaires reconnu de la nouvelle génération de gestionnaires néo-libéraux russes permet d’escompter l’arrivée des investissements qui font cruellement défaut. D’une façon générale, le développement du Nord-Caucase mais aussi sa survie, dépend de son ouverture, de sa maturité et de sa tolérance. Si rien dans le passé n’a remis en cause le loyalisme des peuples caucasiens envers Moscou, les tentions entre les différentes composantes caucasiennes n’ont pas cessé de s’amplifier, chacun s’efforçant de tirer profit d’un centre tout puissant au détriment de son voisin.

En ce qui concerne la question de l’ouverture, il faut bien sûr ici évoquer en priorité l’Europe.

Si la Russie n’est pas dans l’Union Européenne et qu’elle n’a pas vocation à y entrer (à la différence de la Moldavie ou de l’Ukraine par exemple), il n’en demeure pas moins que la Russie est en Europe et qu’il faut en tirer toutes les conséquences. Avant la guerre de 1914, les succursales de banques européennes, les résidences secondaires et les touristes européens étaient nombreux dans les villes thermales et les stations balnéaires caucasiennes. Ce n’est malheureusement  plus vrai aujourd’hui !

Mais la semaine dernière, lors du sommet de Rostov sur le Don dans le Caucase, le Président de l’Union Européenne, Monsieur Herman Van Rompuy, a insisté sur la « volonté de l’Europe d’être partenaire de la Russie » en soulignant que « l’économie et la société étaient liées ». Premier partenaire de la Russie, l’Union Européenne est en mesure d’aider à la promotion de la candidature de la Russie à l’OMC mais, dans la liste des priorités pour la prospérité de cette candidature figure bien sûr en bonne place la stabilité du Nord-Caucase, zone dans laquelle l’Union Européenne est le premier donateur d’aide humanitaire.

La maturité et la tolérance sont les deux autres conditions déterminantes pour le développement de la zone, des qualités  humaines et morales que les responsables religieux, chrétiens et musulmans, pourraient participer à promouvoir. L’oecuménisme qui se pratique à Genève pourrait également l’être à Rostov ou à Piatigorsk puisque la promotion de la personne humaine grâce au développement de la société civile et au respect de la personne justifient l’existence des religions.

Dés lors que ces conditions essentielles seront favorisées, tous les espoirs se réaliseront car il ne faut pas oublier toutes les richesses qui caractérisent cette région qui fut l’un des berceaux du genre humain. N’oublions pas les richesses spirituelles et intellectuelles des peuples caucasiens, le très haut niveau d’enseignement et de culture dans le Nord-Caucase ou l’on compte plusieurs centres de recherches parfaitement performants y compris dans le domaine des sciences humaines.

Sur le plan agricole, ce sont des millions d’hectares irrigués dans le Don et le Kouban, sans parler des terres noires que les allemands emportaient par trains entiers durant la seconde guerre mondiale. Ce n’est que pour des raisons d’insuffisance d’équipements techniques (mécanisation et emballage), que les industries agroalimentaires balbutient . Enfin, ce n’est pas le contrôle de l’économie et du commerce par les communistes qui a réussi à faire disparaître l’initiative privée chez les caucasiens.

Ce sont aujourd’hui eux, les commerçants caucasiens qui participent sans doute le plus activement à l’instauration d’une économie de marché en Russie, gage de son admission à l’OMC. Le développement de cette grande région européenne, le Nord-Caucase, n’est pas une aventure facile pour laquelle il serait hasardeux de se satisfaire d’explications simples. Mais, si l’on garde à l’esprit les rivages de la mer Noire, les côtes pittoresques de Crimée, les sommets du massif de l’Elbrouz avec ses pistes de ski unique au monde, l’animation de ses villes dont la composition ethnique est kaléidoscopique, le charme des nombreuses stations thermales balayées tantôt par le vent des Steppes, tantôt par l’air des glaciers, on ne peut qu’imaginer que la compétition olympique des jeux de Sotchi en 2014 annoncera au monde entier que le Nord-Caucase a retrouvé tout le génie et l’énergie que l’histoire du monde lui a confié !

Patrick BRUNOT

  • Conseiller du Commerce Extérieur de la France.
  • Président de l’Association France-Russie XXI.

 

Notes :

(1) Bruce Jackson.

(2) Project on transitional democraties.

(3) Une république autonome de 900.000 habitants.

(4) Une république autonome de 2,5 millions d’habitants.

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