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Dialogue Interreligieux en Russie CEI

Jean PerrinSon Excellence Jean Perrin, premier ambassadeur de France en Azerbaïdjan, de 1992 à 1996, nous autorise à publier son récent article sur les dialogues inter religieux de la Russie avec l’islam, écrit pour le numéro 99 de la lettre d’information “Asie 21”.

Jean Perrin est Ministre plénipotentiaire, Ambassadeur (E.R.). Chargé de mission EHESS au Bhoutan, consul adjoint à Hong Kong, en poste en Birmanie, Inde, Japon, Malaisie, Thaïlande, chef du service d'information et presse à Tokyo. Chargé d'affaires en Iran (1982-85), puis ambassadeur en Malaisie et en Azerbaïdjan, secrétaire Gl de la Conférence Internationale sur le Cambodge, représentant de l'OSCE (Estonie), président d'honneur de l'Association des amis de l'Azerbaïdjan.

Diplomate et orientaliste , ses liens avec les populations du Caucase l’ont spontanément motivé à participer depuis 10 ans à toutes les activités de l’association d’amitiés France Ossétie - Solidarité Enfants de Beslan.

Asie21 №99 JP. Russie - CEI – Iran.

Projet d’université théologique de la CEI et dialogue interreligieux avec l’islam

 

La fin de l’Union soviétique a entraîné un regain d’intérêt pour le phénomène religieux, qui se dessinait déjà sous Gorbatchev. Aujourd’hui, la Russie s’efforce de coordonner l’enseignement laïc et l’enseignement religieux grâce à la mise en place de réseaux au niveau des anciennes républiques soviétiques. Parallèlement, l’Église orthodoxe russe a engagé aussi un dialogue religieux avec l’islam et avec l’Iran chiite en particulier.

 

FAITS

À l’occasion d’un congrès des enseignants et travailleurs de l’éducation des pays de la CEI (Communauté des États indépendants), Serguei Lebedev, président du comité exécutif de cette organisation, a annoncé le 3 octobre 2016 la création prévue pour 2018 d’une université d’éducation spirituelle en liaison avec les responsables religieux des « religions traditionnelles » de la Russie. Ces religions sont le christianisme, le judaïsme, l’islam et le bouddhisme. 

Cette institution fonctionnera dans le cadre de l’université linguistique d’État, ancien institut Maurice Thorez, qui abrite depuis 2003 une chaire de théologie. Le projet s’inspire de celui, réalisé en 2009, de l’université russe d’Amitié entre les peuples, ex-université Lumumba, qui rassemble un consortium d’universités de la Communauté. Il réunit 32 établissements d’enseignement supérieur de 10 pays membres (dont Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizstan, Moldavie, Russie).

Olga Vasilieva, nouvelle ministre de l’Éducation depuis août 2016, a indiqué que la Russie était en train de réévaluer l’ensemble des problèmes liés à l’enseignement. Pour elle, a-t-elle souligné, « l’éducation n’est pas un service, mais une mission ».

L’activité de l’université théologique consistera à former des pédagogues et des cadres chargés ensuite d’inculquer à la population la tolérance, le rejet de l’extrémisme et de la xénophobie sur la base de l’égalité entre les religions et les cultures. Elle décernera des diplômes de master et des doctorats. Ce projet a reçu l’appui du patriarcat orthodoxe de Moscou, de la direction spirituelle des musulmans, du congrès des communautés et organisations juives et de la direction spirituelle centrale des bouddhistes. Il est placé sous l’autorité du ministère russe de l’Éducation et de la Science.

Parallèlement, l’Église orthodoxe mène depuis longtemps un dialogue avec les représentants de l’islam. Les 26 et 27 septembre 2016, s’est tenu à Moscou la 10e session de la commission russo-iranienne pour le dialogue entre orthodoxie et islam. Celle-ci se réunit tous les deux ans depuis vingt ans.

  • Du côté russe, la présidence était assurée par le métropolite Théophane de Kazan et du Tatarstan.
  • La délégation iranienne, composée de sommités chiites, était dirigée par le Dr Abouzar  Ebrahimi  Torkoman, président de l’Organisation iranienne pour la culture et les relations islamiques.

L’Osservatore Romano, qui n’hésite pas à évoquer un axe religieux Téhéran-Moscou, rapporte que les participants ont rappelé leur attachement à ce dialogue dont le but fondamental est, selon le communiqué final, la recherche d’un monde juste et d’une paix durable. Ils ont souligné leur opposition à « l’imposition de normes laïques et de types de comportements à même de susciter le rejet de la part des partisans de la morale traditionnelle ». Ils ont insisté sur la « communauté de valeurs » qu’ils partagent. Ils ont condamné « l’extrémisme qui utilise des slogans religieux et menace de détruire les relations séculaires entre chrétiens et musulmans ». Ils se sont élevés contre « l’expulsion » progressive des chrétiens d’orient et contre les « persécutions » auxquelles sont soumises les minorités religieuses.

 

ENJEUX

Dans cet ordre d’idées, le projet de création d’une sorte d’union théologique eurasiatique n’est pas une incongruité. Elle s’inscrit dans le contexte d’une Russie, qui se présente parfois comme la troisième Rome, protectrice des chrétiens d’Orient abandonnés par l’Occident, et aussi un trait d’union Orient-Occident.

 

COMMENTAIRES PROSPECTIFS

Contrairement à l’Occident, l’Empire russe au cours des siècles a appris par la continuité territoriale du continent eurasiatique à vivre aux côtés de peuples et de religions venues d’Orient et d’Extrême-Orient. Il n’a pas eu à gérer l’héritage des croisades qui constitue un contentieux entre l’Europe, et singulièrement la France, et le monde arabe. Il a entretenu avec le monde turco-tatar des rapports qui n’étaient pas toujours antagonistes. Des alliances matrimoniales se sont conclues. Le dialogue interreligieux n’est donc pas une nouveauté pour la Russie. Aussi la théologie peut-elle y être considérée aujourd’hui comme une science. Rappelons que la Fédération russe bénéficie du statut d’observateur à l’Organisation de la conférence islamique. 

C’est pourquoi Grozny, capitale de la Tchétchénie, avait abrité du 25 au 27 août 2016 une conférence réunissant 200 oulémas venus du monde entier dont le recteur de l’université Al-Azhar et de représentants du courant soufi, que Le Monde (18/19-9-2016) qualifia de « conclave antiwahhabite ». Le communiqué final sous-entendait en effet que le wahhabisme, professé en Arabie saoudite, ne fait pas partie du sunnisme, piste intéressante à suivre pour combattre aujourd’hui les déviations mortifères de l’islam. 

L’instauration de réseaux universitaires communs avec les pays de l’ancien espace soviétique contribue à maintenir les liens avec ceux-ci dans des domaines essentiels, alors que l’usage de la langue russe tend à baisser dangereusement. Ce phénomène est visible à un niveau plus modeste quand il s’agit de recruter des travailleurs en provenance d’Asie centrale. Le conseil de coopération pour l’éducation des pays membres de la CEI entérinera en 2017 les décisions du comité exécutif concernant les études théologiques.

Jean Perrin, Asie21 

(octobre 2016)                                                                                                                                                                                         

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